Et si nous commémorions les meilleurs rapprochements entre nos communautés?... - par Editeur
Bonjour Monsieur Benabdallah,
À la veille de commémorer les solidarités qui ont surgi à Québec suite à l'attentat de la Grande mosquée du 29 janvier 2017, j'ai eu envie de vous faire part de ma réflexion.
Si je vous l'adresse - en même temps que j'aimerais rejoindre vos partenaires des communautés musulmanes - c'est que mon souvenir est encore bien vivant de l'accueil qu'on m'a fait à la mosquée de la Capitale, le 9 décembre dernier, conviant les gens de Québec à souligner l'anniversaire de la naissance du prophète Mohamed. À cette occasion, j'ai longuement échangé avec un groupe de jeunes musulmans, et j'ai été impressionné par leur qualité de présence et d'écoute.
Des solidarités nouvelles émergent
Tout comme vous j'ai été marqué par le choc de l'attentat de janvier dernier à Ste-Foy, et participé au mouvement de sympathie qui a surgi chez les gens de Québec et d'ailleurs à ce moment.
J'ai par la suite été touché par l'initiative de certaines personnes de confession musulmane pour prendre soin des enfants des familles en deuil; je pense à titre d'exemple à Madame Zakia Zoukri, qui s'est mise à inviter les gens à ce qu'elle a appelé des «dimanches d'espoir» : des pique-niques joyeux qu'elle a organisés dans quelques parcs de Québec, auxquels elle a même associé des représentants des Premières Nations.
Commémorer ce qui cherche à nous éloigner les uns des autres?...
Je vous avoue que lorsque j'ai appris que le Conseil national des musulmans canadiens avait appelé à la création d'une journée nationale contre l'islamophobie, je suis devenu perplexe : «Allons-nous faire durer d'année en année le rappel de quelque chose que nous ne voulons surtout plus dans nos vies, et qui nous a divisés malgré nous?...», me suis-je demandé.
Les médias ont commenté de long en large les points de vue qui ont fusé, chez nos partis politiques et chez des citoyens engagés. Certains ont trouvé là une proposition qui méritait d'être étudiée. J'ai constaté toutefois qu'un bon nombre - bien qu'ils communient de tout coeur avec les familles victimes de l'attentat et les communautés musulmanes encore intimidées - doutent cependant que ce soit la meilleure façon d'obtenir le résultat recherché : n'est-il pas une plus sincère reconnaissance de la communauté québécoise à l'égard de nos soeurs et frères musulmans?...
Trois préoccupations majeures
J'ai réfléchi aux points de vue exprimés dans les médias et aussi à ce que m'a appris ma propre expérience, comme parent et comme psycho-sociologue. J'en ai retenu trois recommandations, dans l'hypothèse où on voudrait créer un événement annuel commémoratif.
Prudence à utiliser le mot islam. Ma première suggestion tient compte de la connaissance souvent floue d'un grand nombre de Québécois à l'égard de ce qui touche au courant religieux musulman. Si on veut gagner leur coeur, il importe qu'on les sensibilise à faire la différence entre islam et islamisme - comme l'a soulevé André Lamoureux (Le Devoir, 12 janvier 2018). Tant de gens chez nous confondent encore l'un pour l'autre. De plus, bien des gens chez nous souhaiteraient, lorsque se produisent des événements à caractère intégriste, que les musulmans sortent du silence pour affirmer haut et fort que ces provocations défigurent l'islam, trahissent la pensée du prophète Mahomet, et n'ont rien à voir avec la religion musulmane d'aujourd'hui.
Regarder les conséquences au plan énergétique. Le dualisme qui nous maintient dans l'attaque-défense, le nous-avons-raison/ils-ont-tort, même si c'est pour des raisons légitimes, nous obtiendra-il l'effet recherché, ou son contraire : la peur de l'autre et le durcissement des positions?...
Il me semble en effet que nous sommes rendus plus loin aujourd'hui. Invités à remplacer l'attirail des victimes pour le coffre à outils des créateurs : de nos vies, de nos communautés... Interrogeons notre expérience de parents. Si nous avons eu un enfant qui avait du mal à l'école, l'invitions-nous à afficher au mur de sa chambre le bulletin qui lui avait fait le plus honte, ou si nous attendions l'heure de mettre en valeur un succès qu'il aura envie de répéter?... Aujourd'hui, voulons-nous avoir raison, ou voulons-nous réellement produire un rapprochement avec le reste de la société québécoise?...
L'expérience m'a appris qu'une communauté a les mêmes dynamismes qu'une personne : si nous voulons qu'elle change, il faut lui fournir des modèles qui parlent au coeur, qui vont la motiver, l'énergiser dans le sens désiré. C'est ce qui fait que beaucoup de voix se sont élevées pour refuser une commission d'enquête qui aurait porté sur la discrimination et le racisme. Et si nous arrosions les fleurs que nous voulons voir pousser?... Il doit bien exister des expériences heureuses de rapprochement entre des communautés musulmanes et la population québécoise, qui mériteraient d'être répétées, promues - et peut-être alors dignes d'un rappel annuel...
Interpeller les gens dans ce que nous avons en commun. Je m'active avec bonheur à susciter des rapprochements interculturels depuis cinq ans à Québec. Avec d'autres, notre fil conducteur est de valoriser le cadeau que chaque culture est pour celles qui l'entourent, et de rechercher ce que nous pourrions créer ensemble pour la suite.
J'ai constaté que, malgré le caractère positif de cette approche, quantité de gens issus de l'immigration se disent gênés qu'on leur demande «Vous venez d'où?...» Eux qui souvent ont souffert de l'exclusion, souhaitent que les gens d'ici voient au plus vite ce qu'ils ont de commun avec eux plutôt que ce qui les différencie. Et vous aurez remarqué que ce trait est encore plus affirmé chez les enfants et les adolescents. Je suis parent adoptif d'un enfant d'Amérique du sud : il avait 10 ans; à peine arrivé parmi nous il a cessé de vouloir parler espagnol. J'ai mis du temps à comprendre qu'il avait besoin d'effacer les traces d'où il venait, comme si inconsciemment il avait peur qu'on l'y ramène. Qu'avons-nous en commun?...
Une suggestion
Dans cet esprit, je vous fais une suggestion : le Gouvernement du Québec a institué en 2016 une Journée nationale du vivre-ensemble, et l'a justement placée le 15 janvier (1). Si vous consultez l'Internet, vous pouvez d'ailleurs constater que c'est une proposition que plusieurs communautés de par le monde ont formulée, jusqu'à l'ONU pour en faire une journée mondiale.
Que diriez-vous si les communautés musulmanes du Québec, ou même d'ailleurs au Canada, se faisaient les artisans d'une pareille journée? J'anticipe sans hésiter que les Québécois de toute origine vous en seraient reconnaissants - et ça ne vous empêcherait pas de faire connaître l'événement douloureux qui vous a inspirés à faire quelque chose.
En terminant, j'aimerais rappeler combien ça m'avait touché lorsque votre confrère l'imam Guillet avait considéré qu'Alexandre Bissonnette, accusé de l'attentat de Ste-Foy, était au nombre des victimes. Qui se soucie de lui aujourd'hui? Une commémoration gagnerait-elle à promouvoir aussi la réadaptation des gens qui ont vécu des parcours comme le sien?...
Je vous laisse là-dessus. Puis-je vous demander de me garder sur votre liste d'invitations? Je reviendrai volontiers à un événement convivial comme celui de décembre dernier.
Cordialement,
Denis Breton,
www.culturesaucoeur.org
(1) Voir: http://www.mrif.gouv.qc.ca/fr/salle-de-presse/communiques/2016/2016_10_20_02
Bonjour Monsieur Benabdallah,
À la veille de commémorer les solidarités qui ont surgi à Québec suite à l'attentat de la Grande mosquée du 29 janvier 2017, j'ai eu envie de vous faire part de ma réflexion.
Si je vous l'adresse - en même temps que j'aimerais rejoindre vos partenaires des communautés musulmanes - c'est que mon souvenir est encore bien vivant de l'accueil qu'on m'a fait à la mosquée de la Capitale, le 9 décembre dernier, conviant les gens de Québec à souligner l'anniversaire de la naissance du prophète Mohamed. À cette occasion, j'ai longuement échangé avec un groupe de jeunes musulmans, et j'ai été impressionné par leur qualité de présence et d'écoute.
Des solidarités nouvelles émergent
Tout comme vous j'ai été marqué par le choc de l'attentat de janvier dernier à Ste-Foy, et participé au mouvement de sympathie qui a surgi chez les gens de Québec et d'ailleurs à ce moment.
J'ai par la suite été touché par l'initiative de certaines personnes de confession musulmane pour prendre soin des enfants des familles en deuil; je pense à titre d'exemple à Madame Zakia Zoukri, qui s'est mise à inviter les gens à ce qu'elle a appelé des «dimanches d'espoir» : des pique-niques joyeux qu'elle a organisés dans quelques parcs de Québec, auxquels elle a même associé des représentants des Premières Nations.
Commémorer ce qui cherche à nous éloigner les uns des autres?...
Je vous avoue que lorsque j'ai appris que le Conseil national des musulmans canadiens avait appelé à la création d'une journée nationale contre l'islamophobie, je suis devenu perplexe : «Allons-nous faire durer d'année en année le rappel de quelque chose que nous ne voulons surtout plus dans nos vies, et qui nous a divisés malgré nous?...», me suis-je demandé.
Les médias ont commenté de long en large les points de vue qui ont fusé, chez nos partis politiques et chez des citoyens engagés. Certains ont trouvé là une proposition qui méritait d'être étudiée. J'ai constaté toutefois qu'un bon nombre - bien qu'ils communient de tout coeur avec les familles victimes de l'attentat et les communautés musulmanes encore intimidées - doutent cependant que ce soit la meilleure façon d'obtenir le résultat recherché : n'est-il pas une plus sincère reconnaissance de la communauté québécoise à l'égard de nos soeurs et frères musulmans?...
Trois préoccupations majeures
J'ai réfléchi aux points de vue exprimés dans les médias et aussi à ce que m'a appris ma propre expérience, comme parent et comme psycho-sociologue. J'en ai retenu trois recommandations, dans l'hypothèse où on voudrait créer un événement annuel commémoratif.
Prudence à utiliser le mot islam. Ma première suggestion tient compte de la connaissance souvent floue d'un grand nombre de Québécois à l'égard de ce qui touche au courant religieux musulman. Si on veut gagner leur coeur, il importe qu'on les sensibilise à faire la différence entre islam et islamisme - comme l'a soulevé André Lamoureux (Le Devoir, 12 janvier 2018). Tant de gens chez nous confondent encore l'un pour l'autre. De plus, bien des gens chez nous souhaiteraient, lorsque se produisent des événements à caractère intégriste, que les musulmans sortent du silence pour affirmer haut et fort que ces provocations défigurent l'islam, trahissent la pensée du prophète Mahomet, et n'ont rien à voir avec la religion musulmane d'aujourd'hui.
Regarder les conséquences au plan énergétique. Le dualisme qui nous maintient dans l'attaque-défense, le nous-avons-raison/ils-ont-tort, même si c'est pour des raisons légitimes, nous obtiendra-il l'effet recherché, ou son contraire : la peur de l'autre et le durcissement des positions?...
Il me semble en effet que nous sommes rendus plus loin aujourd'hui. Invités à remplacer l'attirail des victimes pour le coffre à outils des créateurs : de nos vies, de nos communautés... Interrogeons notre expérience de parents. Si nous avons eu un enfant qui avait du mal à l'école, l'invitions-nous à afficher au mur de sa chambre le bulletin qui lui avait fait le plus honte, ou si nous attendions l'heure de mettre en valeur un succès qu'il aura envie de répéter?... Aujourd'hui, voulons-nous avoir raison, ou voulons-nous réellement produire un rapprochement avec le reste de la société québécoise?...
L'expérience m'a appris qu'une communauté a les mêmes dynamismes qu'une personne : si nous voulons qu'elle change, il faut lui fournir des modèles qui parlent au coeur, qui vont la motiver, l'énergiser dans le sens désiré. C'est ce qui fait que beaucoup de voix se sont élevées pour refuser une commission d'enquête qui aurait porté sur la discrimination et le racisme. Et si nous arrosions les fleurs que nous voulons voir pousser?... Il doit bien exister des expériences heureuses de rapprochement entre des communautés musulmanes et la population québécoise, qui mériteraient d'être répétées, promues - et peut-être alors dignes d'un rappel annuel...
Interpeller les gens dans ce que nous avons en commun. Je m'active avec bonheur à susciter des rapprochements interculturels depuis cinq ans à Québec. Avec d'autres, notre fil conducteur est de valoriser le cadeau que chaque culture est pour celles qui l'entourent, et de rechercher ce que nous pourrions créer ensemble pour la suite.
J'ai constaté que, malgré le caractère positif de cette approche, quantité de gens issus de l'immigration se disent gênés qu'on leur demande «Vous venez d'où?...» Eux qui souvent ont souffert de l'exclusion, souhaitent que les gens d'ici voient au plus vite ce qu'ils ont de commun avec eux plutôt que ce qui les différencie. Et vous aurez remarqué que ce trait est encore plus affirmé chez les enfants et les adolescents. Je suis parent adoptif d'un enfant d'Amérique du sud : il avait 10 ans; à peine arrivé parmi nous il a cessé de vouloir parler espagnol. J'ai mis du temps à comprendre qu'il avait besoin d'effacer les traces d'où il venait, comme si inconsciemment il avait peur qu'on l'y ramène. Qu'avons-nous en commun?...
Une suggestion
Dans cet esprit, je vous fais une suggestion : le Gouvernement du Québec a institué en 2016 une Journée nationale du vivre-ensemble, et l'a justement placée le 15 janvier (1). Si vous consultez l'Internet, vous pouvez d'ailleurs constater que c'est une proposition que plusieurs communautés de par le monde ont formulée, jusqu'à l'ONU pour en faire une journée mondiale.
Que diriez-vous si les communautés musulmanes du Québec, ou même d'ailleurs au Canada, se faisaient les artisans d'une pareille journée? J'anticipe sans hésiter que les Québécois de toute origine vous en seraient reconnaissants - et ça ne vous empêcherait pas de faire connaître l'événement douloureux qui vous a inspirés à faire quelque chose.
En terminant, j'aimerais rappeler combien ça m'avait touché lorsque votre confrère l'imam Guillet avait considéré qu'Alexandre Bissonnette, accusé de l'attentat de Ste-Foy, était au nombre des victimes. Qui se soucie de lui aujourd'hui? Une commémoration gagnerait-elle à promouvoir aussi la réadaptation des gens qui ont vécu des parcours comme le sien?...
Je vous laisse là-dessus. Puis-je vous demander de me garder sur votre liste d'invitations? Je reviendrai volontiers à un événement convivial comme celui de décembre dernier.
Cordialement,
Denis Breton,
www.culturesaucoeur.org
(1) Voir: http://www.mrif.gouv.qc.ca/fr/salle-de-presse/communiques/2016/2016_10_20_02
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Dernière mise à jour: 7 février 2019